vendredi 11 novembre 2011

L'Ange du foyer





"Celle qui deviendra schizophrène est déjà double, comme le sont jusqu'à un certain point toutes les filles jeunes et jolies : une tête qui pense, un corps qui éblouit. Une tête qui doit penser au corps comme à une chose qui lui est extérieure, étrangère. Une Zelda [Fitzgerald] qui doit surveiller l'autre : pour plaire."

"Il faut lire et relire sa célèbre description de l''"Ange du foyer", cette femme idéale ("excessivement sympathique", "absolument charmante" et "parfaitement altruiste"), ce modèle d'abnégation féminine, ce parangon de pureté qui, lorsque Virginia s'est mise à écrire, a fait mine de guide sa plume :

Je me suis jetée sur elle et l'ai prise à la gorge. J'ai fait de mon mieux pour la tuer. Mon excuse, si je devais comparaître devant un tribunal, serait d'avoir agi en état de légitime défense. SI je ne l'avais pas tuée, et m'aurait tuée. Elle aurait crevé le cœur de ce que j'écrivais.

L'"Ange du foyer" ressemble à s'y méprendre à la propre mère de Virginia Woolf : philanthrope, belle, énergique et généreuse, mère dévouée d'un famille nombreuse, l'image même de la "bonne" féminité à l'époque victorielle en Angleterre/ Or, une femme qui "tue" symboliquement sa mère, à travers l'acte d'écriture ou autrement, se "tue toujours elle-même aussi. Sylvia Plath a fini par le comprendre, et par décrire ses tentatives de suicide comme "une pulsion meurtrière transférée de ma mère sur moi-même". Elle dit aussi : "Ça me fait un bien fou d'exprimer mon hostilité à l'égard de ma mère ; ça me libère de l'oiseau-panique sur mon cœur et sur ma machine à écrire". 

"Les femmes, même lorsqu'elles désirent ardemment devenir des auteurs, sont moins convaincues de leur droit et de leur capacité à le faire. Pour la bonne raison que, dans toutes les histoires qui racontent la création, elles se trouvent non pas du côté de l'auctor (auteur, autorité), mais du côté de la mater (mère, matière)."

Dans Journal de la Création que m'a offert Pit il y a quelques temps, Nancy Huston parle des rapports entre la féminité et l'écriture, invoquant Zelda Fitzgerald, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir. C'est absolument passionnant. 

En ce moment, je tue symboliquement ma mère.

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